Conjurer la menace de l’escalade en Ukraine
En annonçant une aide accrue à l’effort de guerre en Ukraine, le président Emmanuel Macron veut éviter de laisser le Kremlin maître du jeu. Une approche qui exige de rassembler davantage de soutien politique et diplomatique.
« Escalade » : tel un leitmotiv, le mot rythme le débat sur le niveau d’engagement des alliés de Kiev et la rhétorique de Vladimir Poutine depuis que le président russe a lancé l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022. La crainte de provoquer un engrenage susceptible de faire basculer dans le conflit les pays qui ont décidé d’aider l’Ukraine à se défendre contre cette agression sans être eux-mêmes en guerre a été au cœur de leur stratégie d’assistance graduée. Poutine, de son côté, se sert du spectre de l’escalade comme instrument d’intimidation pour nourrir cette crainte, brandissant la menace sous sa forme la plus effrayante, celle de l’usage de l’arme nucléaire.
Le président Emmanuel Macron privilégie une autre approche, qu’il a de nouveau défendue en recevant, vendredi 7 juin, son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, en visite officielle à Paris au lendemain des cérémonies de l’anniversaire du Débarquement en Normandie. Pour lui, la France « n’est pas en guerre avec la Russie » mais doit pouvoir garder la « maîtrise de l’escalade », c’est-à-dire « ne pas laisser la Russie imposer ses propres limites ». Autrement dit, avoir l’initiative du niveau d’engagement des alliés au côté de l’Ukraine, plutôt que de donner l’impression que c’est l’agresseur qui détermine, par ses menaces, les contours et le degré de cet engagement. Ne pas laisser le chef du Kremlin maître du jeu. Corollaire de cette approche, le concept d’« ambiguïté stratégique » vise à ne pas exposer à la Russie les limites que se fixent les alliés.
M. Macron a ainsi annoncé, jeudi et vendredi, plusieurs nouvelles mesures de soutien à l’effort de guerre ukrainien, dont certaines sont à long terme : la fourniture d’avions de chasse Mirage 2000-5, dont les pilotes et les mécaniciens vont être formés immédiatement ; la formation et l’équipement d’une brigade ukrainienne, soit environ 4 500 militaires ; la constitution d’une coalition de pays qui enverront des instructeurs former les forces ukrainiennes sur le terrain, sans prendre part aux combats.
Quelques jours après avoir décidé d’autoriser les Ukrainiens à utiliser des missiles français pour frapper en territoire russe les bases d’où partent les attaques contre Kharkiv, M. Macron se pose ainsi en leader de l’engagement européen au côté de l’Ukraine, même si en quantité cette assistance est bien inférieure à celle des Etats-Unis et de l’Allemagne. M. Poutine ne s’y trompe pas, qui multiplie les manifestations d’hostilité à l’égard de Paris. M. Macron voit dans ces « signes de nervosité » du Kremlin la confirmation de la justesse de sa stratégie, et rappelle que le droit international autorise l’Ukraine à se défendre : l’aide occidentale se situe dans ce strict cadre.
C’est bien l’agression russe qui provoque un engagement européen accru, pas l’inverse. Mais cet engagement doit pouvoir s’appuyer sur le plus large soutien politique et diplomatique. L’image d’une Assemblée nationale à moitié désertée, vendredi, au moment où s’y exprimait le président d’un pays en guerre auquel la France vient en aide était à cet égard désastreuse − et inquiétante.